Les limites du secret professionnel
Confidentialité pour tous
Où demeure mon enseignante de première année que j’aimerais tant retrouver ? Quel âge a ma chanteuse préférée ? Cet acteur est-il vraiment hospitalisé en oncologie ? Pourquoi ma collègue est-elle absente depuis si longtemps ? Quelles sont les coordonnées téléphoniques de cette patiente qui ferait une bonne partenaire de tennis pour mon neveu ?
Par Me Anne-Marie Jutras, avocate au Bureau du syndic |
Dans un numéro précédent, nous avons traité du « secret professionnel ». Nous avons vu que, de façon générale, tous les renseignements de nature confidentielle divulgués par un patient à son infirmière auxiliaire sont protégés par le secret professionnel et que, de façon exceptionnelle, certaines dispositions législatives permettent au professionnel de briser le secret professionnel dans des circonstances particulières. Que dire de toutes les autres informations contenues au dossier d’un usager auxquelles l’infirmière auxiliaire a accès dans l’exercice de ses fonctions ?
La Charte des droits et libertés de la personne prévoit
que :
« Toute personne a droit au respect de sa vie
privée. »1
Au Code de déontologie des infirmières et infirmiers auxiliaires du Québec, l’article 51 énonce :
« Le membre qui exerce sa profession dans un organisme public visé par la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (chapitre A-2.1) ou dans un centre exploité par un établissement au sens de la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2) ou de la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S-5) doit respecter les règles d’accessibilité et de rectification des dossiers prévues dans ces lois et en faciliter l’application. »
Ainsi, de façon générale :
« Le dossier d’un usager est confidentiel et nul ne peut y avoir accès, si ce n’est avec le consentement de l’usager ou de la personne pouvant donner un consentement en son nom. »2
Toutefois, afin de permettre aux soignants d’effectuer leurs tâches dans l’exercice de leur fonction :
« Un renseignement personnel est accessible,
sans le consentement de la personne concernée,
à toute personne qui a qualité pour le recevoir au
sein d’un organisme public lorsque ce renseignement
est nécessaire à l’exercice de ses fonctions. »3
L’infirmière auxiliaire qui accède au contenu du dossier d’un usager sans son consentement et sans avoir un motif professionnel pour le faire contrevient à l’article 51 du Code de déontologie. Cet accès au dossier étant non justifié, il constitue un bris de confidentialité. Une infraction qualifiée de grave par le Conseil de discipline des infirmières et infirmiers auxiliaires du Québec.
Dans une affaire 4 récente, le Conseil s’exprime ainsi :
« La confidentialité constitue la pierre d’assise de
la relation de confiance entre les professionnels
de la santé, dont les infirmières et infirmiers auxiliaires
et les usagers, de sorte que toute intrusion
injustifiée dans la vie privée de ces derniers constitue
une brèche à la confidentialité qui affecte
négativement ce lien de confiance.
Le public en général et tous les usagers doivent pouvoir compter sur le fait que les infirmières et infirmiers auxiliaires respectent la confidentialité. »
En juillet 2022 5, le Conseil écrit :
« Rappelons que l’informatisation des dossiers des patients fait en sorte que ceux-ci sont littéralement accessibles du bout des doigts des professionnels travaillant dans le milieu de la santé. D’où l’importance que le public soit protégé à l’encontre de la curiosité mal placée. Le fait qu’un professionnel expérimenté puisse ignorer l’importance de respecter la vie privée des patients et le secret entourant leurs dossiers ne peut être que déploré, car une telle attitude ébranle la confiance du public. Or, particulièrement dans le domaine de la santé, il est impérieux que la confiance des patients ne soit pas mise en péril et que ceux-ci puissent se confier, en toute quiétude, auprès des personnes autorisées à intervenir. »
Au cours des dernières années, quelques décisions ont été rendues par le conseil de discipline de l’OIIAQ en matière de bris de confidentialité :
Cette année6, un mois de radiation temporaire et une amende de 2 500 $ ont été imposés à une infirmière auxiliaire ayant consulté, pour une durée de 18 minutes, sans autorisation et sans justification professionnelle, le dossier d’un patient.
En 20187 , deux infirmières auxiliaires ont été sanctionnées de deux mois de radiation temporaire. La première, pour avoir consulté sans justification professionnelle le dossier d’usagers qu’elle connaissait afin de leur transmettre les résultats d’examens médicaux qu’ils attendaient. La seconde, pour avoir consulté le dossier d’une patiente afin d’y trouver ses coordonnées téléphoniques.
En 20208, cinq mois de radiation temporaire ont été imposés à une infirmière auxiliaire ayant consulté sans autorisation ni justification professionnelle à plus de mille reprises des dossiers médicaux par curiosité.
En 20179, pour avoir systématiquement consulté les dossiers de nouveau-nés pendant dix ans et avoir transmis les coordonnées téléphoniques des nouveaux parents à sa conjointe qui communiquait avec eux pour leur vendre des produits financiers, un infirmier auxiliaire a été sanctionné de quinze mois de radiation temporaire.
L’accès aux dossiers des usagers permet à l’infirmière auxiliaire de travailler. Il n’est pas toléré que cet accès lui permette d’assouvir sa curiosité, de passer le temps ou d’effectuer des recherches personnelles. Les renseignements contenus aux dossiers sont confidentiels. Ils doivent être consultés lorsqu’il est nécessaire pour le soignant de le faire ou lorsque le soignant a reçu une autorisation pour le faire.
Pour en savoir davantage, nous vous invitons à suivre la formation en ligne intitulée Secret professionnel sur le portail de la formation continue obligatoire de l’OIIAQ.
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Références
1 Article 5
2 Article 19 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux, RLRQ c S-4.2
3 Article 62 de la Loi sur l’accès aux renseignements des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, RLRQ, c. A -2.1
4 Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des) c. Therrien, 2020 QCCDIA 7 aux paragraphes 46 et 48
5 Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des) c. Nadeau, 2022 QCCDIA 6
6 Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des) c. Nadeau, 2022 QCCDIA 6 au paragraphe 67
7 Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des) c. Morissette, 2018 CanLII 2135 Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des) c. Bavenga-Muanda, 2018 CanLII 95616
8 Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des) c. Therrien, 2020 QCCDIA 7
9 Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des) c. Roberge, 2017 CanLII 29841