Soigner les oubliés
Soigner, de la clinique jusqu’à la rue
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Au Québec, 10 000 personnes se trouvaient en situation d’itinérance en 2022 selon le plus récent recensement produit par le ministère de la Santé et des Services sociaux[1]. Il s’agit d’une augmentation alarmante de 44 % par rapport au dénombrement de 2018, expliqué notamment en raison de la pandémie. Pour soutenir ces clientèles vulnérables, Statistiques Canada répertoriait plus de 10 000 travailleurs en 2021[2] qui se dédiaient à cette mission. C’est le cas de Roxanne Gagné, une infirmière auxiliaire qui fait toute la différence au Centre Le Havre à Trois-Rivières. L’équipe de l’Ordre des infirmières et infirmiers auxiliaires du Québec a fait incursion dans son milieu de travail pour jeter un coup d’œil sur une réalité sur laquelle on détourne trop souvent le regard.
Le Centre Le Havre tente de prévenir l’enracinement de l’itinérance et de favoriser l’inclusion sociale des personnes en situation de rupture sociale. Depuis la pandémie, l’organisme a ajouté l’apport incontestable d’une infirmière auxiliaire, Roxanne Gagné, qui s’est jointe à l’équipe de soins de proximité. Celle-ci vise à favoriser l’accessibilité des services médicaux aux personnes en processus de désaffiliation sociale. Composée notamment de médecins, d’infirmières cliniciennes et de psychiatres, l’équipe travaille en interdisciplinarité pour aller sur le terrain et amener les soins à ceux qui en ont besoin.
Cette façon de faire concorde avec l’orientation gouvernementale, soit d’adapter le système pour aller rejoindre directement les personnes en situation d’itinérance dans leurs milieux de vie. Pour y arriver, une relation de confiance doit s’établir entre les intervenants et leurs clientèles.
« J’ai commencé ma carrière en centre hospitalier. J’adorais le sentiment d’aider les gens, mais je trouvais que ça allait trop vite et que je ne pouvais pas créer de lien véritable avec mes patients. Depuis que je travaille au Centre Le Havre, je sens que je fais une différence, que j’arrive à établir un véritable lien de confiance avec les personnes que je soigne », confie l’infirmière auxiliaire.
Au quotidien, elle prodigue des soins tant au sein de l’organisme que dans la rue. Lorsque ses collègues intervenants lui signalent des situations sur le terrain, elle se rend auprès de ces personnes pour contribuer à l’évaluation. En collaboration avec les autres professionnels, elle peut ensuite appliquer les actions recommandées par ses collègues. Par exemple, elle peut effectuer des soins de plaies ou pratiquer la pharmacothérapie.
Par son plein champ d’exercice, elle contribue à améliorer l’efficacité de son équipe et est une ressource stable pour les populations qu’elle dessert. Son travail fait ainsi toute la différence dans la région.
Réalité à l’étendue provinciale
Depuis les dernières années, on voit les campements se multiplier dans les espaces publics des grandes villes. À Montréal, plusieurs sites ont fait les manchettes, alors que les arrondissements tentent de rediriger les personnes en situation d’itinérance vers les organismes. Si l’on a tendance à penser aux grandes villes lorsqu’il est question de ces enjeux, ils se traduisent pourtant également en région.
Estimation du nombre de personnes en situation d'itinérance visible selon les régions [3]
Personne n’est à l’abri
Sans surprise, le prix des loyers s’impose comme facteur déterminant pour qu’une personne se retrouve sans domicile fixe. « L’enquête canadienne sur le logement qualifie d’abordable tout type de logement dont les coûts pour y habiter n’excèdent pas 30 % du revenu total du ménage avant impôt. »[4]
Bien qu’importante, la notion d’hébergement ne définit pas uniquement les personnes touchées par ce phénomène. Les gens présentant les critères énumérés ici font aussi partie de l’équation[5] :
- Elles n'ont pas d'adresse fixe ou vivent dans des endroits peu sécuritaires, insalubres;
- Elles n'ont peu ou pas de lien avec la famille et peu de réseaux sociaux stables;
- Elles n'ont peu ou pas de revenu;
- Elles font face à des problèmes multiples pouvant aggraver la désorganisation sociale (toxicomanie, alcoolisme, santé mentale, jeu pathologique, etc.).
Le défi revient alors aux organismes d’offrir toujours plus de ressources aux personnes qui se trouvent dans le besoin et dont le nombre se multiplie au fil du temps. Ces derniers ont de grands chantiers à mettre en œuvre, notamment en ce qui a trait aux notions de santé mentale et de toxicomanie.
Aller vers les patients
Bien souvent, les enjeux de dépendance et d’itinérance sont interreliés, en plus de coexister avec les troubles mentaux et physiques. La prise en charge de ces personnes devient alors de plus en plus ardue et les équipes doivent s’adjoindre de professionnels en soins pour les appuyer dans leur mission.
Dans le cadre de son travail, Roxanne est amenée à intervenir lors des cas de surdoses en injectant notamment la naloxone en situation de crise. Son apport de professionnelle en soins est ainsi inestimable pour l’organisme et sa clientèle.
« Tu sais, j’en ai eu beaucoup de problèmes dans ma vie. Si ce n’étais pas du Havre et de vous autres, je serais probablement mort », lance avec émotion un usager à l’infirmière auxiliaire, lors du passage de l’Ordre au centre.
Parmi les réponses les plus fréquentes repérées dans le dernier dénombrement mis en place par le ministère, les conditions de santé et de bien-être (ex. : dépendances, troubles mentaux, maladie, accident, hospitalisation) constituent d’ailleurs les raisons les plus fréquemment évoquées pour expliquer la perte, par ces personnes, de leur dernier logement[6].
Raisons expliquant la perte de logement [7]
La multiplication des problèmes complexifie l’organisation des services. Cela fait en sorte que le réseau de la santé peine à joindre les clientèles plus vulnérables pour leur offrir des soins optimaux. À titre d’exemple, il sera difficile pour une personne sans domicile fixe d’obtenir une preuve d’identité, les heurtant aux modes de fonctionnement du réseau.
Le rôle de l’infirmière auxiliaire à Trois-Rivières est positif également en ce sens, puisqu’elle peut accompagner sa clientèle dans le réseau lorsque nécessaire, pour s’assurer qu’ils bénéficient des soins qu’ils requièrent. « Les soins sont un droit fondamental, c’est essentiel de ne pas oublier ces personnes qui vivent en marge du système, parce qu’elles méritent qu’on prenne aussi soin d’elles », conclut l’infirmière auxiliaire.
Pour en savoir plus sur le travail de Roxanne au Centre Le Havre, l’équipe de l’Ordre des infirmières et infirmiers auxiliaires du Québec l’a suivi toute une journée sur le terrain. Visionnez le reportage à son sujet pour en apprendre davantage.
En savoir plus
Quelle est la différence entre l’itinérance visible et cachée ?
L’itinérance visible représente les personnes sans abri, qui logent dans des lieux qui ne sont pas prévus à cet effet comme des campements ou des squats ou encore qui sont hébergées dans les centres ou les ressources prévues pour les aider. L’itinérance cachée regroupe les personnes dépourvues de domicile fixe permanent ou encore hébergées temporairement chez des proches. En Mauricie-Centre-du-Québec, la majorité des cas d’itinérance se trouvent dans cette deuxième catégorie.
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Rédaction : Annabelle Baillargeon
Crédit photo : Charlotte Blanche
Références
[1] https://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/fichiers/2023/23-846-05W.pdf
[2] https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/75f0002m/75f0002m2023006-fra.htm
[3] https://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/fichiers/2021/21-846-01W.pdf
[5] https://ciusssmcq.ca/conseils-sante/services-sociaux/itinerance/
[6] https://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/fichiers/2021/21-846-01W.pdf
[7] https://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/fichiers/2023/23-846-05W.pdf